Le carnage by Patrick Isabelle

Auteur:Patrick Isabelle [Isabelle, Patrick]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Fantastique
Éditeur: Éditions Les Malins
Publié: 2021-03-27T04:00:00+00:00

SIX

Plus j’en apprends, plus je réalise que ma vie est un mensonge depuis des années. Un mensonge que personne n’a daigné me révéler. Le fait que Marianne m’avoue tout maintenant est davantage un signe d’impuissance qu’un gage d’amitié. J’aurais dû dire à Ulric que Kellyanne ne m’a pas seulement aidé, elle m’a ouvert les yeux. Tout est limpide désormais : en jouant à ce jeu débile chez Sabrina, nous avons libéré Elvina, et maintenant, elle déverse sa colère sur nous après avoir tourmenté Viau pendant des semaines.

Pendant que je monte les marches qui mènent chez moi, j’entends ma mère déverrouiller tous les loquets. Aussitôt que je suis à l’intérieur, mes deux sœurs sortent du salon en courant et en poussant des cris aigus. Lily saute dans mes bras alors qu’Odile s’accroche à ma jambe. Ma mère nous regarde, un sourire en coin, appuyée au cadre de porte de la cuisine.

— Sont pas chez Rita, ces p’tites bêtes-là ? que je lui demande, ce qui soulève les protestations des deux pestes.

— Rita ne pouvait pas les garder ce soir, elle devait aller à Québec, elle se sentait super mal ! Ce n’est pas grave, je commençais à trouver la maison vide sans elles…

— Mamaaaan, est-ce qu’on peut avoir une piscine nous aussi ? supplie Lily.

— Et on la mettrait où, cette piscine-là ? lui dis-je en la chatouillant.

Je pose mon sac d’école et mes achats afin de verrouiller la porte derrière moi. Ma mère me fait signe de la suivre dans la cuisine tandis que mes sœurs retournent devant la télévision, bien au frais dans notre salon climatisé.

Irrité par l’odeur dans la pièce, je soupire.

— Maman, fume si tu veux, mais ouvre au moins une fucking fenêtre ! C’est dégueulasse.

Ma mère lève les yeux au ciel comme si je venais de lui dire la pire des absurdités. Elle m’énerve quand elle est ainsi. Je me sers un verre d’eau glacée et je m’assois face à elle. L’air climatisé qui arrive directement sur mes épaules dénudées me donne le frisson. J’ai eu trop chaud aujourd’hui.

— Les parents d’Anthony m’ont appelée tantôt, me dit délicatement ma mère.

— Pourquoi ?

Entendre le nom d’Anthony à voix haute fait plus mal que je l’aurais imaginé.

— Il y aura un service demain soir, au salon funéraire, et ils aimeraient que tu prennes la parole.

— Genre un éloge funèbre ? J’peux pas faire ça !

— Pourquoi pas ? Tu étais son meilleur ami, William…

— J’ai-tu l’droit de refuser ?

— Bien sûr, mais je crois que tu devrais au moins l’envisager. Ce serait peut-être bon pour toi, non ?

— Bon, de quelle façon ?

— T’es renfermé, Will. Tu ne peux pas vivre ton deuil tout seul dans ton coin, ça va finir par te ronger de l’intérieur. J’ai vu ce que ça t’a fait, l’année passée.

— Fait que vaudrait mieux que j’aille brailler devant toute la famille d’Anthony ? Non merci.

— Penses-y au moins… OK ?

— Ouais, ouais.

Je me renfrogne. Je n’ai pas envie de discuter de deuil avec ma mère.

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